« Moi, je veux pas être assisté, je veux travaillé…J’ai tout dans ma tête. Toutes les idées sont dans ma tête pour taper du code, pour créer des logiciels. Mais je vois pas l’écran. Je peux pas taper. Je peux pas taper du code alors que taper du code, c’est ma vie.
Tu te retrouves SDF après un divorce, on t’enlève tes p’tits chiens. Tu pleures ta femme. La seule que t’aies eu, que t’as connu à 16 ans. J’ai 49 ans et je sers plus à rien. C’est ça le plus dur…C’est de servir à rien.
J’suis un handicapé aveugle et j’aurai plus de travail parce que qui va vouloir m’embaucher. J’ai plus mes yeux. C’est pas normal qu’on nous traite comme ça. On n’a pas demandé à être malade….Ni à être aveugle….Alors que tout est là, putain, tout est dans ma tête. » (28 septembre 2021)
Laurent Mahé quitte l’école à 16 ans. A force de travail et de cours du soir, il devient directeur technique d’une grande entreprise locale.
Il est limogé fin 2019. Il craque. Il ne se nourrit plus et se réfugie dans l’alcool. C’est le début de sa descente aux enfers. Il commence à perdre la vue. En mars 2021, il est pris en charge par les services sociaux d’une petite ville de l’Ouest de la France et est logé dans un hébergement d’urgence.
Isolé et refusant son handicap, il est incapable de lire les dossiers administratifs (divorce, impôts, notaires, rdv médicaux, etc.), il accumule les problématiques qui le privent de revenu jusqu’en mars 2022. Il se retrouve seul sans aucune activité sociale et oscille entre le déni et l’introspection pour accepter sa nouvelle vie.
Puis, peu à peu, les choses s’améliorent. Il est reconnu handicapé. Sa pension d’invalidité lui est débloquée. Il prend de la distance avec ses proches toxiques et un accompagnement social plus efficace se met en place. Il hérite d’une somme d’argent qui lui permet d’acheter un petit appartement en aout 2022. Le jour de la remise des clés, il s’assoie contre un mur du salon vide et pleure. « Je suis chez moi maintenant, je ne serai plus jamais à la rue ».
A travers ce projet, je questionne notre capacité de résilience. Comment se reconstruire après avoir tout perdu.
La chute de Mr Mahé a été vertigineuse. Un engrenage l’a entrainé dans un tourbillon sans fin. Il s’est retrouvé seul et complétement démunis. Il ne voyait pas d’issue à sa situation. Alors il s’est renfermé. Il a ressassé. Déni, colère, tristesse, dépression, résignation.
Pourtant, une fois au fond, dépouillé de son ancienne existence, il n’a pas eu d’autre choix que de continuer. Il a fini par retrouver un peu de force, recoller peu à peu les morceaux. Un équilibre précaire est revenu et il s’est relevé doucement.
Cependant, nous ne connaissons ni la longueur du chemin ni la virulence des forces que nous devons affronter. C’est cette lente traversée, dont l’issue n’est jamais totalement acquise, que je veux photographier. Avec ce huis clos, je documente le processus invisible à l’œuvre qui nous fait avancer pour surmonter les obstacles. Une transformation sensible qui nourrit notre motivation à nous reconnecter à nous-même et autres, à influencer le cours de notre vie. Un mouvement de «reconquête» humaine et sociale.